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Transformer le traumatisme en un lointain souvenir, la promesse de l’EMDR aux victimes de violences sexuelles

Les traces laissées par une agression sexuelle ou un viol sont parfois tenaces. On estime que dans 30 % des cas, les victimes souffrent de stress post-traumatique. Pour les aider à aller mieux, une méthode a fait ses preuves : l’EMDR (eye movement desensitization and reprocessing). À la croisée entre hypnose et thérapie comportementale et cognitive, cette approche promet une prise de recul vis-à-vis de l’agression et une diminution de l’anxiété. Le point avec le Dr Martin Teboul, sexologue et spécialiste de cette technique de désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires.

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Avec les traumatismes de guerre, les traumatismes liés à une agression sexuelle sont ceux entraînant le plus de cas de syndromes de stress post-traumatique. Des séquelles psychologiques importantes qui se traduisent notamment par de l’anxiété, un état de stress permanent, des difficultés relationnelles, une incapacité à avoir du plaisir et un sentiment d’impuissance toujours présents plusieurs mois après l’événement déclencheur. Une situation qui s’explique par des mécanismes neurologiques.

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Quand l’amygdale est hors de contrôle, le sentiment de peur est permanent

 

Quelle que soit la situation, le corps réagit toujours de la même manière face à une situation stressante. Nous sursautons, puis nous ressentons une émotion : de la surprise, de la peur. En cause : le centre de nos émotions, l’amygdale a été activé. Notre cerveau analyse ensuite ce qu’il s’est passé et le néocortex calme l’action de l’amygdale. L’événement est alors transformé en souvenir.

 

Seulement, dans certains cas, le stimulus est trop important. Nos réactions sont alors démesurées, notre peur et nos capacités de réflexion sont dépassées. Notre pensée ne peut alors plus se connecter à nos émotions, qui deviennent incontrôlables. C’est le cas par exemple lorsque l’on subi un viol. Ce qui est survenu est jugé comme incohérent par notre cerveau, il n’arrive pas à comprendre ce qui a pu se produire et donc à calmer ses émotions. D’autant qu’en général, nous cherchons des explications alors même qu’il n’y a rien à comprendre, si ce n’est que parfois certains événements nous dépassent. Dans ce cas, le processus de mémorisation de cet événement difficile ne se réalise pas. En EMDR (eye movement desensitization and reprocessing), on dit que les mémoires sont stockées de façon dysfonctionnelle.

 

Le problème est que si le mécanisme de retour au calme de l’amygdale ne se fait pas rapidement, la victime peut souffrir de syndrome de stress post-traumatique. Sur le plan neurophysiologique, cela signifie que l’amygdale reste hyper sensibilisée. Le moindre stimulus venant du monde extérieur va alors l’activer et entraîner une émotion très intense. Si rien n’est fait, cela peut durer plusieurs années.

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Les victimes de violences sexuelles particulièrement touchées

 

Chez les victimes de violence sexuelles, la peur provoquée par l’agression est généralement très grande. On estime que dans seulement 70 % des cas, les victimes guérissent de manière spontanée dans les trois mois suivant l’événement traumatique, même s’il peut rester des situations de vie particulièrement stressantes comme le fait de rentrer seul de soirée ou de devoir retourner sur les lieux de l’agression.

 

Pour trois victimes sur dix, le traumatisme sera plus grand et un syndrome de stress post-traumatique pourra apparaître. "En général, cela concerne surtout des personnes pour qui l’agression a été très violente (physiquement ou psychologiquement), qui ont déjà vécu des drames par le passé, qui manquent de confiance en elle ou qui ne sont pas bien entourées, explique le Dr Martin Teboul, sexologue spécialiste de l’EMDR. Les traces laissées par cette agression sont plus marquées et la récupération peut être plus compliquée." Aussi, la guérison du traumatisme est difficile, même plusieurs années après.

 

Dans ce cas, une thérapie peut être envisagée, quelle qu’elle soit. Il peut s’agir d’hypnose, de thérapies comportementales et cognitives, d’EFT ou bien d’EMDR. "Le principe est toujours le même : il s’agit de reconnecter les deux parties du cerveau entre elle", précise le Dr Martin Teboul.

 

L’EMDR, une technique de "stockage mémorielle" au chevet des victimes de violences sexuelles

 

L’EMDR ou désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires est une approche de neurophysiologie utilisée pour la première fois en 1987 par la thérapeute Francine Shapiro sur une dizaine de soldats revenus du Vietnam. Elle consiste à faire revivre le moment du traumatisme pour réduire l’anxiété. "L’objectif est de faire en sorte que la victime réussisse à prendre de la distance par rapport à cet événement et ait un jugement plus positif sur elle-même ; qu’elle soit capable de se confronter à ce moment difficile de sa vie et se dire qu’elle a bien agit", explique le Dr Martin Teboul.

 

En pratique, le thérapeute propose à la victime de penser au moment de son traumatisme en laissant monter l’émotion et les sensations physiques associées, tout en gardant à l’esprit les aspects sensoriels les plus perturbants (image, son, odeur). Puis, il lui propose diverses stimulations (suivre son doigt du regard, bips dans un casque ou tapotements sur les genoux) pendant une dizaine de secondes. La victime exprime ensuite au thérapeute ses sensations, ses émotions et ses pensées. Et, à force de répétitions, l’émotion ressentit va diminuer. L’EMDR va ensuite utiliser un processus semblable afin d’amener la personne à développer une pensée positive sur l’événement qu’elle a vécu.

 

"L’avantage de cette méthode est qu’elle peut se pratiquer en aveugle, explique le Dr Martin Teboul. Cela signifie que la victime n’est pas obligée de raconter avec précision ce qui lui est arrivé, ni de prononcer le mot ‘viol’."

 

Plus concrètement, les stimulations sensorielles activent le système nerveux parasympathique, celui de la relaxation et synchronisent l’activité électrique du cerveau à une fréquence qui correspond à celle du sommeil profond. Les souvenirs vont alors se "ranger" dans la mémoire de la victime, comme ils auraient pu le faire après plusieurs bonnes nuits de sommeil si le mécanisme n’avait pas été grippé.

 

Ainsi, la victime va recoller les morceaux et quand elle repensera à son traumatisme, l’image sera désormais floue et lointaine et l’émotion absente. L’ amygdale pourra enfin reprendre une activité normale.

 

L’importance d’une prise en charge rapide

 

"Dans le cadre des traumatismes sexuels, pour être efficace, la prise en charge devrait être immédiate", explique le Dr Martin Teboul, qui milite pour que le personnel médical soit formé à cette technique. "L’idéal serait que, dès qu’une victime arrive à l’hôpital, elle puisse être prise en charge par un praticien formé en psycho-traumatologie et à l’EMDR", insiste-t-il.

 

En effet, il explique que pendant les premières heures qui suivent la scène de violences, la mémoire n’est pas encore fixée. La représentation que l’on se fait de l’agression n’est pas encore ancrée dans la mémoire. Aussi, si on agit dans ce laps de temps, il y a 95 % de chance que le traumatisme engendré soit moins fort. "Sans intervention, on estime qu'il faut environ trois mois à une victime pour s’en remettre. Après le mécanisme du stress post-traumatique s’enclenche et c’est évidemment plus compliqué d’intervenir", précise le spécialiste.

 

Le Dr Teboul avertit également sur l’importance d’une prise en charge thérapeutique préalable à des poursuites judiciaires : "Comparaître devant un tribunal peut être traumatisant. Cette histoire va être remuée et il est à craindre que cela créé un re-traumatisme chez la victime. Cela viendrait aggraver la situation."

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Une technique qui a fait ses preuves

 

Le Dr Martin Teboul insiste par ailleurs sur le fait que "toute personne est capable d’aller mieux", à condition qu’elle accepte de se faire aider. "Une personne victime de viol ne doit pas porter ce fardeau toute sa vie, insiste-t-il. Il faut qu’elle comprenne qu’elle est forte, ne serait-ce que parce qu’elle a réussi à sortir de cette épreuve en vie."

 

Pour y parvenir, l’EMDR a fait ses preuves. Reconnue par l’OMS, cette technique est désormais enseignée à la faculté de médecine. "Cette méthode fonctionne rapidement et est bien tolérée. En deux heures, on peut déjà avoir des effets bénéfiques et dans 90 % des cas, elle permet à la victime d’aller mieux", assure le Dr Martin Teboul. De nombreuses victimes souffrant d’amnésie traumatique ont également découvert l’origine de leur mal-être grâce à l’EMDR. Une expérience que raconte Mie Kohiyama dans son livre Le Petit Vélo blanc qu’elle a signé sous le nom de Cécile B.

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Source :
  • Interview du Dr Martin Teboul est sexologue, spécialiste de l’EMDR, fondateur de l’association Biopsychothérapies et formateur en psychotraumatologie  à l’université de médecine de Paris. Décembre 2020.
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