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Témoignage de Sébastien Boueilh :
"Je suis un cabossé de la vie, mais je suis aussi un résilient"

Ancien rugbyman à Dax, Sébastien Boueilh a été victime d’un pédophile de ses 12 à ses 16 ans. Après 18 ans de silence, il porte plainte et fait condamner son agresseur à 10 ans de prison ferme. En 2013, il fonde l’association Colosse aux pieds d’argile pour prévenir et sensibiliser tous les acteurs du monde sportif à la pédocriminalité. Il publie ensuite un livre pour raconter son histoire. Il revient aujourd’hui sur son parcours de reconstruction. 

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Vous avez attendu 18 ans avant de parler de ce qui vous est arrivé. Comment expliquer ces années de silence ?

 

"Mon violeur avait mis en place une véritable stratégie pour s’assurer de mon silence. Il m’a ciblé comme on vise sa proie. Il a gagné la confiance de tous ceux qui gravitaient autour de moi, ma maman en premier, "la louve". Puis, il a fait en sort de verrouiller ma parole, avant de passer à l’acte. Le soir du premier viol, il est venu prendre l’apéro à la maison avec mes parents ! Je n’ai pas pu en parler tout de suite.

 

Ensuite, j’avais honte et peur de ne pas être cru. Je suis un homme et être violé pour nous signifie que notre virilité et notre honneur en prennent un coup. Et puis, mon violeur était une personnalité connue et appréciée au village. J’avais peur que l’on me dise, "Ce n’est pas possible qu’il t’ait fait ça". Et puis, il y avait aussi la culpabilité de ne pas avoir réussi à dire "non" et d’y être retourné. Je me suis renfermé sur moi-même et j’ai mis en place des mécanismes d’auto-destruction.

 

Les agressions sexuelles et viols peuvent laisser des traces, tant sur le plan physique, que psychique et émotionnel, sur les victimes.

 

Je suis devenu, comme beaucoup de victimes dans le silence, "jusqu’au-boutiste". Tout l’argent que je gagnais, je le dépensais au casino. J’ai dû me faire interdire. Le sexe, c’était sans limite. J’ai multiplié les partenaires pour me persuader que j’étais hétérosexuel et non homo comme mon agresseur voulait me faire croire. Je buvais régulièrement de l’alcool en grande quantité, ce qui entraînait des bagarres… La drogue et le dopage sont les seules choses que je n’ai pas touchées, et encore heureux parce que je ne serais plus là aujourd’hui. Il faut savoir qu’un traumatisme non-réparé peut entraîner une perte d’espérance de vie de 20 ans chez les victimes. D’où l’importance de parler.

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À quel moment vous êtes vous décidé à porter plainte ?

 

J’ai réussi à en parler seulement dix-huit ans après les faits, quand j’ai appris qu’un copain d’enfance, Mathieu, avait porté plainte pour viol contre mon agresseur. Il m’en a parlé et le lendemain, je l’ai appelé pour lui raconter ce qui m’était arrivé. J’en ai ensuite parlé à mon ex-femme, puis à un ami. Je pensais que le fait de parler allait être réparateur et ça l’a été. Mais, directement après, je suis tombé en dépression. J’ai pris du poids, j’ai arrêté le sport, j’ai divorcé et je me suis retrouvé tout seul. Je suis tombé bien bas.

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Et, au moment du procès, j’ai perdu les trois-quarts de ma famille. Heureusement, j’ai pu compter sur le soutien de trois professionnels : le commandant de gendarmerie, qui a été exemplaire avec moi, ma psychologue, victimologue, criminologue, qui m’a préparé au procès et qui m’a surtout aidé à me reconstruire après celui-ci et mon avocat. Ils ont été de véritables piliers, des soutiens très forts dans ma résilience. Le procès m’a lui permis de comprendre ce qu’était l’amour, de pleurer et de découvrir ce que signifiait aimer sans déviance. 

 

Pourquoi avoir fondé l’association Colosse aux pieds d’argile ?

 

Au procès, j’ai refusé le huis-clos, généralement mis en place pour les victimes de viol mineurs au moment des faits et j’ai accepté d’être identifié dans les articles de presse. Je voulais montrer qu’un gaillard comme moi, qu’un homme, pouvait aussi être touché. Et beaucoup de personnes m’ont contacté. Je me suis rendu compte qu’il y avait des victimes partout autour de moi et j’ai voulu leur venir en aide. J’ai donc créé l’association Colosse aux pieds d’argile en 2013. 

 

Au départ, il s’agissait de sensibiliser les joueurs de rugby dans les Landes, ma région d’origine. Et puis, il y a eu un engouement autour de mon parcours de vie et de nombreux clubs de tous les sports, partout en France, m’ont invité à venir témoigner. Je me suis formé à l’accueil de la parole de la victime et même si ça m’arrive de craquer après certains témoignages, le fait qu’ils partent en ayant parlé et avec le sourire me donne la force de continuer. Si à l’époque, le petit jeune de douze ans que j’étais avait eu la chance d’être sensibilisé, je n’aurais peut-être pas tant attendu pour parler et je n’aurais pas bousillé ma vie. 

 

Au final, venir en aide aux autres m’a sauvé. Aujourd’hui, Colosse aux pieds d’argile est en passe d'être reconnue d’utilité publique et compte douze salariés. Les violences sexuelles dans le monde du rugby étaient un sujet tabou et j’ai pu convaincre. 

 

Quelles ont été les autres étapes de votre reconstruction ? 

 

J’ai testé ma résilience en me confrontant à des auteurs de violences sexuelles au centre de détention de Tahiti. Ça a été une épreuve, mais je l’ai passé avec brio. Je vais à présent intervenir auprès de délinquants sexuels pour éviter qu’ils ne récidivent. 

 

On m’a également conseillé de raconter mon histoire, alors j’ai écrit un livre avec l’aide d’un ami journaliste*. Il explique par quelles étapes Le Colosse est passé dans sa vie et les mécanismes d’autodestruction qu’il a mis en place, mais surtout, il montre que l’on peut s’en sortir, même après quatre années de viol, dix-huit années de silence et plus de vingt ans de souffrance. La résilience existe. Je suis un cabossé de la vie, mais je suis aussi un résilient.

 

Au final, peut-on "guérir" de ces années de souffrance ?

 

On peut s’en sortir, mais il faut vraiment y mettre de la volonté et ce que j’ai appris, c’est que je ne peux compter que sur moi. Pour s’en sortir, il faut avoir de la volonté. Quand on tombe sur un mauvais psy, on a le choix entre abandonner ou se forcer à aller en voir un second. Au final, il faut vraiment être dans une démarche volontaire et il faut beaucoup de courage pour s’en sortir. 

 

Mais aujourd’hui, au-delà du fait d’intervenir auprès des victimes, je peux en rire. J’ai tatoué sur mon avant-bras "On ne sait jamais ce que le passé nous réserve". Je vais être papa, j’ai monté une association, j’ai écrit un livre… Je n’y serais jamais arrivé sans faire la paix avec mon histoire. Lui, je ne lui pardonnerai jamais ! Il savait très bien que c’était interdit, que ce n’était pas bien ce qu’il faisait. Mais je n’ai pas besoin du pardon pour avancer.

 

Mon message à toutes les victimes est qu’il faut parler. Parler, parler, parler… Un adulte reste un enfant victime, toute sa vie, tant que la vérité n’est pas sortie du puits de sa gorge. L’apaisement passera par la parole et par le fait d’être bien accompagné." 

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Source : 
  • Interview téléphonique de Sébastien Boueilh, septembre 2020
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