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Témoignage de Sarah Abitbol :
"Pendant trente ans, j’ai été dans la honte et la culpabilité ; aujourd’hui, je me sens apaisée, je suis redevenue moi-même"

Dix fois championne de France de patinage artistique en couple, vice-championne d’Europe et médaillée de bronze aux championnats du monde, Sarah Abitbol a accusé son ancien entraineur, Gilles Beyer, de l’avoir agressée sexuellement et violée à plusieurs reprises alors qu’elle était adolescente. Ses révélations, dévoilées dans le livre Un si long silence (éd. Plon, 2020), ont créé une véritable onde de choc dans le milieu sportif. "La fin de l’Omerta" titrait le journal L’Équipe. Dans son livre, elle raconte son amnésie, puis son combat contre les séquelles de ses années de violences sexuelles. Elle raconte ici son parcours de reconstruction et revient sur ce qui l'a le plus aidé à reprendre vie. 

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"Après mon viol, il y a eu onze ans d’amnésie traumatique durant lesquels mon cerveau avait oublié ces moments d’agressions, puis trente ans de silence. Pendant tout ce temps, je ne pouvais pas dire le mot "viol". Je savais que c’était ce que j’avais vécu, mais j’étais incapable de le dire. Je ne pouvais pas. C’est là-dessus que je devais progresser et que je dois encore progresser pour guérir : poser ce mot et dire ce mot si difficile.

 

"Seize ans plus tard, je suis toujours suivie par un psy"

 

Mes souvenirs me sont remontés en 2004, pendant ma tournée d’Holliday On ice. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus… Au bout de deux mois de tournée, sur les quatre prévus, mon partenaire m’a ramené à Paris. Il ne savait pas ce qu’il se passait. À ce moment là, je suis allé consulter un psychiatre parce que voulais reprendre ma tournée. Seize ans plus tard, je suis toujours suivie. Je me bats tous les jours, mais je ne suis pas guérie.

 

Il me reste toujours des séquelles. J’ai été violée en dehors de chez moi, donc j’ai du mal à partir à l’étranger dans un endroit inconnu. Je ne peux pas aller à New-York dans un hôtel que je ne connais pas par exemple. Tout ce qui se situe en dehors de chez moi me fait peur. Si je dois vraiment le faire, j’essaie de regarder l’endroit dans lequel je vais partir, l’hôtel, le trajet… Mais c’est toujours pesant et on ne peut pas me faire de surprise. J’ai raté des moments de famille heureux à cause de ces traumatismes.

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"La lecture m’a beaucoup aidée"

 

En 2006, j’ai commencé à lire et cela m’a beaucoup aidé. Dans les moments où je n’allais pas bien, je prenais des anxiolytiques et je lisais. Je surlignais beaucoup et je prenais des notes dès que je trouvais des choses qui me semblaient utiles pour moi, mon cerveau, mon bien-être. J’ai épluché comme cela beaucoup de livre de pensée positive. Deux m’ont particulièrement marquées : La Sagesse du moine qui vendit sa Ferrari, de Robin Sharma et Comment utiliser les pouvoirs du subconscient, de Joseph Murphy.

 

À côté, la méditation et la sophrologie m’ont beaucoup apportées. Mentalement, je transformais les images de mon agression en quelque chose de positif comme un lac gelé ou de la musique douce par exemple. J’ai de cette manière fait beaucoup de travail personnel pour aller mieux. Et, tous les jours, je progressais. Du mal-être permanent, j’ai réussi à aller mieux et à me détendre le temps d’un bain, puis une heure, puis deux…

 

"Écrire mon livre a été un moment important dans mon chemin de reconstruction"

 

Enfin, il y a eu l’écriture de mon livre à partir de la fin 2018. Écrire ce livre était ma dernière chance d’être écoutée. J’avais déjà raconté mon histoire, mais je ne m’étais pas sentie écoutée, donc j’avais ce poids sur les épaules depuis trop d’années. Et je voulais empêcher mon agresseur de nuire à nouveau en l’éloignant de son club de patinage. 

 

Je voulais également partager mon expérience malheureuse avec d’autres victimes pour qu’elles puissent elles-aussi parler. Et, pour la première fois, j’ai enfin réussi à poser des mots sur ce qui m’était arrivé. J’ai réussi à le dire pour la première fois à ma co-auteure, Emmanuelle Anizon qui m’a fait confiance et qui a su m’écouter. Ça a vraiment été un moment important sur mon chemin de reconstruction et de guérison. Ce livre m’a aidé et a beaucoup aidé les autres et ça, c’est vraiment une victoire.

 

Avant, j’avais très peur. Pendant trente ans, j’ai été dans la honte et la culpabilité. Et là, le fait d’avoir eu du soutien de mes proches et de tant de gens qui ont entendu mon histoire ; de recevoir des messages d’amitiés, des messages positifs me disant que j’étais un modèle, une warrior, que je les avais énormément aidés… J’avais si peur du résultat, mais ça n’a été que positif ! Le fait de parler et de dégager tout ça de mes épaules m’a fait du bien. 

 

L’autre versant est que ça a également été très dur parce qu’on a appris qu’il y avait beaucoup d’agresseurs dans le monde du sport. Mais je me dis que c’est pour un avenir meilleur pour les futures générations. La parole s’est libérée et au fur et à mesure, grâce notamment à la prise de paroles de femmes connues dans leur milieu (le mannequinat, le cinéma, le sport), les choses sont en train de changer. 

 

"Si la prescription pour les viols de mineurs est levée, ce sera une victoire plus qu’olympique"

 

Je préférerais bien sûr que mon agresseur soit en prison pour ce qu’il a fait parce que je pense qu’il a continué et qu’il y a d’autres victimes. Pour moi, il y a des failles et ce genre de prédateurs devraient être en prison plutôt qu’à l’extérieur. Mais, le fait que son nom soit aujourd’hui connu et que l’on sache ce qu’il a fait est déjà un beau procès. J’essaie désormais de guérir. Il m’a déjà gâché une partie de ma vie, je ne veux pas continuer à me focaliser sur ça et à être malheureuse. 

 

J’essaie de me focaliser sur mon bien-être et celui des autres victimes en me battant pour une loi qui mettrait fin à la prescription pour les victimes mineures (celui-ci est aujourd’hui de trente ans, ndlr). Ce n’est pas normal de devoir porter le poids de cette agression dans son corps toute sa vie et que l’agresseur ne soit pas puni. Nous sommes plusieurs, nous nous battons et nous nous soutenons dans ce combat. Et, si on arrive à gagner, ce sera une victoire plus qu’olympique pour moi. Ma plus belle victoire, après cette libération de la parole. 

 

Aujourd’hui, je me sens apaisée, même si c’est pas encore à 100 %. Les cachets restent ma béquille. J’ai peur de les arrêter. Mais je reprends ma vie en main. Pour moi, c’est une nouvelle vie qui recommence avec mon caractère de battante qui ose dire non quand ça ne lui plaît pas. Les proches me disent que j’ai changé, et oui, je suis redevenue moi-même !"

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Source : 
  • Interview téléphonique de Sarah Abitbol, septembre 2020
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